Deux arrêts majeurs de l’Assemblée plénière du 27 juin 2025 (n° 22-21.812 et n° 22-21.146) redéfinissent le rôle du juge en matière de réparation du préjudice. Désormais, même si la victime demande la réparation intégrale d’un dommage, le juge doit tenir compte d’une perte de chance, lorsqu’il en constate l’existence, et l’indemniser. Une évolution qui assouplit le principe dispositif prévu par les articles 4 et 5 du Code de procédure civile.

Un cadre jurisprudentiel jusque-là hésitant

Avant ces arrêts, la jurisprudence oscillait entre deux approches. Certaines décisions admettaient que le juge pouvait indemniser une perte de chance même si la réparation intégrale était demandée. D’autres, plus strictes, considéraient qu’une telle requalification excédait les limites fixées par les prétentions des parties, en application de l’article 4 du Code de procédure civile. Cette divergence entretenait une incertitude quant au pouvoir du juge.

L’affirmation d’un pouvoir de requalification

Dans les deux affaires, les cours d’appel avaient refusé d’indemniser la perte de chance au motif que les demandeurs réclamaient uniquement la réparation totale de leur préjudice. L’Assemblée plénière a censuré ces décisions, rappelant que la perte de chance est un préjudice juridiquement indemnisable, distinct du dommage entier mais dépendant de celui-ci. Refuser de l’indemniser alors qu’elle est établie reviendrait à commettre un déni de justice. Le juge peut donc requalifier la demande, sous réserve d’inviter les parties à s’exprimer sur cette qualification.

Une dérogation assumée au principe dispositif

Deux principes se dégagent : le juge peut rechercher l’existence d’une perte de chance même si la réparation demandée est intégrale, et il ne peut refuser de l’indemniser au seul motif qu’elle n’a pas été expressément demandée. Cette solution élargit l’office du juge et instaure une exception au principe dispositif, justifiée par l’équité procédurale et la bonne administration de la justice.

Par ces arrêts, la Cour de cassation renforce l’effectivité du droit à réparation. Le juge devient garant d’une indemnisation adaptée au préjudice réellement subi, sans être entravé par la formulation stricte des demandes. Une avancée qui vise à prévenir le déni de justice et à assurer une meilleure protection des victimes.
 
Réf : 27 juin 2025, Cour de cassation, Pourvoi n° 22-21.146